Oh, le printemps s’installe enfin, des températures presque estivales ! Une envie comme souvent de marche à pied, un courrier à poster, joindre à l’utile l’agréable. Passant devant une pâtisserie, dans la vitrine une tartelette aux pommes me fait un clin d’œil : brillante, dorée, les quartiers disposés en rangs réguliers, un régal déjà pour le regard ; je la devine croustillante et moelleuse. Le déjeuner fut frugal, mon estomac me le rappelle brusquement, à moins que mon esprit ne se cherche une excuse pour céder à la tentation !...
J’entre donc. Pendant que la vendeuse sert un client avant moi, je lorgne du côté de l’étalage, comme pour couver du regard l’objet de ma convoitise. Oubliées les résolutions ascétiques, les promesses de sans gluten, les mises en garde contre le sucré. Non, ici, on a à faire à un produit artisanal, c’est forcément bon, et bon pour la santé ! La gourmandise dispense de tout discernement.
Bref, je demande, quand vient mon tour, la tartelette aux pommes qui reste, en montrant d’un geste vague la direction de la vitrine. Nous sommes en milieu d’après-midi, la gondole de pâtisseries est presque vide, il n’y a pas de méprise possible, la tartelette s’ennuyait jusqu’à mon arrivée.
Sauf que… la vendeuse revient avec tout autre chose ; une espèce de gâteau.
« Ah mais non, dis-je, ce n’est pas ça que je veux, c’est la tartelette aux pommes ! »
L’espace d’un instant je me demande si je me suis exprimé de travers, si je n’ai pas dit autre chose que ce que je voulais dire. Quoi ? Mon cerveau m’aurait-il joué des tours ?! Aurais-je pensé tarte aux pommes, et prononcé gâteau ?
« Ceci est aussi une tarte aux pommes, me dit-elle, en retournant chercher La Mienne.
-Ce n’est pas évident au premier abord, réponds-je ! »
En regardant la minuscule étiquette, je vois marqué : tarte normande. D’accord, pensé-je, normande donc aux pommes, logique, mais quand même pas une tartelette dans ma conception pâtissière.
« C’est pour manger maintenant ?
-Oui, réponds-je machinalement, mon maintenant étant un maintenant dans quelques minutes, lorsque j’aurai regagné mon bureau, lorsque je m’adonnerai à la gourmandise à l’écart des regards. »
Elle pose devant moi la tartelette telle quelle sur un petit bout de carton blanc. Son maintenant à elle n’est pas le même que le mien ! Je lui demande d’emballer mon trésor au moins dans un bout de papier, pour que je puisse l’emporter, tout en réfléchissant aux difficultés de communication. En quelques minutes, des incompréhensions sont nées de systèmes de référence différents. Une simple tartelette entraine des quiproquos, somme toute anodins, voire amusants, mais reportons à présent ce mécanisme sur des sujets majeurs comme les valeurs, les croyances religieuses, les convictions politiques, et regardons comme les conflits, les disputes, les guerres prennent leur source dans le manque d’information, de connaissance du monde de l’autre. Je milite depuis longtemps pour, et professe, une communication qui s’intéresse vraiment à l’autre, et m’efforce, dans mon quotidien, d’appliquer ces principes, ce qui est le travail de toute une vie, je pense, et demande des efforts d’acceptation, de tolérance, de bienveillance, de conscience de soi. Je ne suis pourtant pas à l’abri de malentendus, comme tout le monde ; sans doute ai-je encore des progrès à accomplir dans ce domaine. Mais j’ai également conscience que je peux m’améliorer, que c’est de ma responsabilité de le faire, sans jeter l’opprobre sur l’autre, qui, tout comme moi, fait du mieux qu’il peut…
Au fait, vous dirais-je ce qu’il advint de la tartelette ? Elle ne dura pas assez longtemps pour atteindre mon bureau !...